CHER FILS, N’ESSAIE PAS D’ÊTRE PARFAIT, ESSAIE D’ÊTRE HEUREUX

Cher fils,

C’est mon anniversaire, et c’est toujours un moment spécial car c’est l’occasion pour moi de faire un peu d’introspection. Étant donné que je suis un nouveau papa, la paternité hante mon esprit évidemment. Je me pose des questions telles que: quel genre de papa dois-je devenir pour toi mon fils que j’aime tant?

Je suis reconnaissant d’avoir eu un père exemplaire qui m’a montré la voie à suivre. Tout ce que j’ai à faire, c’est de suivre ses traces. Contrairement à beaucoup de personnes de sa génération, ton grand-père est un homme ouvert d’esprit. C’est cette ouverture d’esprit qui m’a permis de poursuivre mes rêves, et pour cela je lui en serai éternellement reconnaissant.

Le monde a beaucoup changé: aujourd’hui, les parents africains célèbrent fièrement lorsque leur fils joue en Ligue 1. Au milieu des années ’90, ce n’était pas le cas. Il fut un temps où seules certaines carrières étaient considérées comme dignes. Les parents africains voulaient que leurs enfants deviennent médecins, avocats ou ingénieurs. Toute carrière dans un autre domaine était considérée comme un échec. J’exagère à peine.

J’appréhendais donc forcément le moment où j’allais annoncer à mon père que je voulais faire une carrière dans le foot. L’Afrique n’étant pas l’endroit propice où mener une carrière de footballeur professionnel, il fallait que je m’exile en France pour poursuivre mes rêves. À titre de rappel, j’avais quinze ans, je souhaitais quitter le Kenya pour tenter ma chance en France. Est-ce que mon père allait me soutenir dans mon délire? Les chances étaient minces.

Étant donné que mon père allait financer toute l’opération, il fallait trouver des arguments persuasifs. Je me rappelle qu’à cette époque-là, les discussions avec mon père étaient souvent pénibles, car il voulait toujours que nos arguments soient bien structurés et convaincants. Il fallait commencer par une thèse, enchaîner avec une antithèse et conclure par une synthèse. Peut-être espérait-il que nous devenions avocats. Qui sait? Pour le convaincre de me laisser partir dans un sport-études en France, il fallait que je m’arme d’arguments en béton. Après plusieurs jours de préparation, mon plaidoyer était enfin prêt.

Je me souviens de cette soirée comme si c’était hier. Mon père est rentré du bureau tard dans la soirée. Sachant que j’avais une grosse faveur à lui demander, j’ai été un peu plus aimable et serviable que d’habitude. Après avoir tourné autour du pot pendant une quinzaine de minutes, je lui ai finalement annoncé que je voulais partir du Kenya et tenter de faire carrière dans le football en France. Je m’attendais à une certaine résistance de sa part, mais que nenni. “Je n’y vois aucune objection tant que tu continues à faire tes études en parallèle”, a-t-il dit. Ainsi s’est achevée la conversation que je redoutais depuis plusieurs semaines.

Quelques mois plus tard, j’ai débarqué en France grâce au soutien combiné de mon père, de ma tante Brigitte et de mon conseiller d’orientation, M. Christian Ducrocq. Ensemble, ils ont travaillé dur pour que mon rêve devienne réalité.

Je n’oublierai jamais mon premier match avec le Rodez Aveyron Football Club. Ce jour-là, on affrontait le centre de formation de Montpellier. Au sein de leur effectif, il y avait plein de joueurs Noirs grands et costauds, dont le Franco-Camerounais Stéphane Biakolo. Je pouvais voir sur le visage de certains de mes coéquipiers qu’ils étaient intimidés par l’adversaire. Pour moi, c’était juste un match normal. Affronter des Noirs imposants sur un terrain de foot, je l’avais fait toute ma vie. Cette rencontre n’avait rien de spécial à mes yeux. C’était la routine, quoi.

Pendant toute la rencontre, je me suis démené comme un diable dans de l’eau bénite. J’ai mis des coups, j’en ai reçu. J’ai remporté quelques duels, j’en ai perdu. Mes efforts n’étaient pas passés inaperçus, puisque le journaliste qui avait assisté à la rencontre salua ma performance dans son article. Certes, nous avions perdu le match 5-0, mais je lui avais tapé dans l’œil, ce qui constituait une victoire personnelle pour moi. Je m’empressai d’envoyer l’article à mon père par la poste, et il le conserva précieusement pendant longtemps, pensant sûrement que son fils deviendrait le prochain Roger Milla. Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

Le foot n’ayant pas marché pour moi, je décidai de consacrer toute mon énergie à la musique. Une fois de plus, je pus compter sur le soutien de mon daron. Je me souviens du jour où je suis allé lui rendre visite au bureau. Lorsqu’elle me vit, sa secrétaire me demanda si j’étais le fils qui faisait du rap. Lorsque je lui répondis par l’affirmative, elle me raconta comment mon père jouait ma musique à fort volume dans son bureau. Ce jour-là, je pris la résolution d’être moins vulgaire afin de ne pas mettre mon père dans l’embarras lorsqu’il joue mes chansons au travail.

Ce n’est pas tout! Lorsque je pris la décision d’écrire mon premier livre, qui a été le premier à me soutenir? Mon père évidemment. Il lit le livre trois fois : d’abord par plaisir, ensuite pour corriger les erreurs et les coquilles, et enfin pour s’assurer que la préface que je lui avais demandé de rédiger soit à la hauteur de mes attentes.

Cher fils, comme tu vois, mon père a été mon plus fervent admirateur, toujours là pour encourager mes passions et mes rêves. J’ai toujours bénéficié de son soutien dans toutes les circonstances, et j’espère te rendre la pareille.

Cher fils, je souhaite que tu sois épanoui et libre de suivre ton propre chemin. À chaque étape, je te soutiendrai avec amour et fierté. Peu importe où la vie te mène, sache que mon amour pour toi est infini.

Ton papa qui t’aime,

Hopiho

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