BLÂMEZ MA TÊTE, PAS MON COEUR

Depuis le début de la Coupe d’Afrique des nations, le Cameroun subit un lynchage médiatique sans précédent. Un sentiment nationaliste, dont je ne soupçonnais pas l’existence, s’est emparé de moi très rapidement. Il m’était impossible de rester indifférent : la patrie était en danger, et il fallait que je la protège à tout prix.

La première chose que j’ai faite, c’est d’entrer en contact avec un journaliste du magazine Sofoot. « Les journalistes français sont payés pour dénigrer le Cameroun ? », lui ai-je demandé. Au lieu d’essayer de défendre ses collègues, il m’a proposé de rédiger une tribune où j’aurai carte blanche pour exprimer toutes mes frustrations. J’avoue que j’ai été pris à contre pied, car je ne m’attendais vraiment pas à cette réaction. Sofoot est un magazine qui a une portée internationale et ce journaliste venait de m’offrir, sur un plateau d’argent, l’opportunité de redorer le blason de mon pays. J’ai donc accepté la mission avec beaucoup d’enthousiasme.

Après la joie, le doute et la peur ont commencé à s’installer lorsque j’ai réalisé que j’avais une lourde responsabilité sur les épaules. A travers ma tribune, j’allais représenter le peuple camerounais. Je devais donc être impeccable dans le choix de mes mots. L’échec était interdit.

Initialement, j’avais l’intention de dénoncer la condescendance (voire le racisme) de certains médias occidentaux, qui ont du mal à se défaire de leur ethnocentrisme. Mon objectif était de défendre le Cameroun envers et contre tous, mais je me suis vite ravisé. Lorsque j’ai repensé aux citoyens camerounais qui sont morts au stade d’Olembé, j’ai réalisé que nous avions lamentablement échoué. Nous avons failli à notre tâche car nous n’avons pas été en mesure de protéger nos compatriotes. La CAN 2021 est un échec total car huit de nos concitoyens ont perdu la vie lorsqu’ils se sont rendus au stade.

Plutôt que de défendre le Cameroun, j’ai opté de mettre la lumière sur les problèmes qui minent mon pays natal. Je ne pouvais pas les passer sous silence, car cela aurait fait de moi un complice des oppresseurs. A travers mes écrits, je voulais être le porte-parole de tous les laissés pour compte. Malheureusement, j’ai commis l’irréparable car j’ai complètement oublié de mentionner les souffrances des populations anglophones du Cameroun dans ma tribune.

Depuis 2016, les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO) sont proie à de violents conflits. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées, et on recense des milliers de morts. Le conflit perdure et l’issue ne semble pas proche. Tout a commencé lorsque des voix anglophones se sont élevées pour réclamer plus d’équité. Plutôt que de les écouter, le gouvernement camerounais a décidé de les réprimander. Cela a forcément entraîné une radicalisation d’une partie de la population anglophone et l’émergence du terrorisme. Aujourd’hui, de nombreux ressortissants du NOSO sont de plus en plus favorables à la sécession. Fatigués d’être traités comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays, ils veulent désormais créer l’Ambazonie, un état indépendant et souverain.

Une partie du Cameroun est en guerre, mais dans le reste du pays, les gens continuent à vaquer à leurs occupations quotidiennes. Certes, il éprouve de la compassion pour ses compatriotes anglophones, mais le Camerounais lambda est trop occupé à essayer de survivre dans un environnement qui ne lui fait pas de cadeau.

Le conflit armé, qui se déroule dans les provinces anglophones du Cameroun, sévit depuis de nombreuses années, mais personne n’en parle. Il n’y a aucune mobilisation pour mettre un terme à cette crise, car peu de gens sont au courant de ce qu’il se passe réellement. J’avais l’opportunité de faire un travail de sensibilisation, mais je ne l’ai pas fait, et j’en suis sincèrement désolé. Ce n’est pas une erreur que j’ai commise, c’est une faute professionnelle.

Je tiens toutefois à remercier l’équipe de Sofoot de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer sur leur site. Ma tribune, intitulée Au Cameroun, les cœurs ne sont toujours pas apaisés, a été publiée le 30 janvier dernier. Bien qu’elle soit loin d’être parfaite, je vous invite à la lire si vous ne l’avez pas fait.

Hopiho

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