…ET LA PRESOMPTION D’INNOCENCE ?

Lorsque j’étais à l’université, je partageais un appartement avec trois autres locataires. Antonio, un étudiant en droit, était la personne avec laquelle j’avais le plus d’atomes crochus. Il était vraiment passionné par son domaine d’études et était toujours enclin à m’enseigner quelques préceptes de droit. Antonio me disait toujours d’éviter de tirer des conclusions hâtives et me demandait sans cesse d’employer des termes comme allegedly lorsqu’on parlait d’une affaire criminelle.

En 2002, le scandale de la sextape de R. Kelly éclate. Le chanteur R&B, qui a filmé ses ébats sexuels avec une fille de 14 ans, est accusé de pornographie infantile. Lorsque j’apprends la nouvelle, je le condamne sur-le-champ. Dans ma tête, sa culpabilité ne souffre d’aucun doute. Mon raisonnement est simple: R. Kelly a épousé Aaliyah lorsqu’elle avait quinze ans, et le nouvel incident ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà : Robert Sylvester Kelly est un pédophile.

 « That n*gga is guilty » sont les mots qui sont sortis de ma bouche.  Antonio, qui était loin d’être un fan de R. Kelly, me reprit de volée sur-le-champ. «  Tu ne peux pas te baser sur l’antécédent d’un l’accusé pour déterminer sa culpabilité », me dit-il. « Les gens changent. Ce n’est pas parce que quelqu’un a commis un crime dans le passé, qu’il faut immédiatement le condamner dès qu’il y a le moindre soupçon ».

Lors de nos conversations, qui ressemblaient parfois à des cours de droit, Antonio mettait toujours l’emphase sur la présomption d’innocence. « En tant que société, nous avons décidé qu’il est préférable de laisser un criminel en liberté, plutôt que d’envoyer un innocent en prison », répétait-il. Je n’ai pas communiqué avec Antonio depuis une quinzaine d’années, mais certaines de nos conversations sont restées gravées dans ma mémoire. Lorsque le basketteur Kobe Bryant a rendu l’âme dans un accident d’avion au mois de janvier dernier, j’ai repensé à mon ancien colocataire et à ses discours sur la présomption d’innocence.

Les circonstances du décès de Kobe Bryant étaient tragiques, mais cela n’a pas empêché les mauvaises langues de parler de l’incident du Colorado quelques heures après sa mort. Aucun égard pour Vanessa Bryant qui venait de perdre son mari et sa fille dans un accident d’hélicoptère. Les détracteurs n’avaient pas le temps : ils se sont empressés de parler de la fameuse accusation de viol qui avait terni l’image du Black Mamba, alors que les larmes de la veuve n’avaient pas encore séché.

Est-ce que Kobe Bryant est un violeur ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’il doit être traité comme un violeur ? La réponse est non. Certes, j’étais un grand fan de Kobe Bryant, mais cette prise de position n’a rien à voir avec l’admiration que je lui vouais. Notre système judiciaire est basé sur la présomption d’innocence, ce qui signifie qu’une personne est innocente jusqu’à ce qu’elle soit prouvée coupable. En gros, l’accusé n’a pas la responsabilité de démontrer son innocence. C’est la justice qui doit prouver sa culpabilité. Malheureusement, je me rends compte que dès qu’une personne est accusée d’un crime d’ordre sexuel, elle est immédiatement coupable, et c’est elle qui doit désormais prouver son innocence.

NDLR : J’ai longtemps hésité avant de me lancer sur ce terrain glissant, car je sais que de nos jours, le discernement est une denrée rare. Parce que les esprits malveillants risquent de sortir mes propos de leur contexte, je tiens à préciser que je ne cautionne pas les crimes d’ordre sexuel. Le viol et le harcèlement sexuel sont des crimes abominables que je condamne fermement. D’ailleurs, je répète souvent que je suis contre la peine de mort, mais je suis prêt à faire une exception pour les pédophiles et les violeurs. Maintenant que c’est dit, revenons à nos moutons.

Je ne sais pas pour vous, mais moi juste 24 heures dans ma journée. En règle générale, je me contente juste de lire les grandes lignes, car je n’ai pas le temps de m’informer correctement et de connaître tous les tenants et les aboutissants des affaires scabreuses. Je n’ai pas non plus le temps de juger qui que ce soit. Je laisse cette tâche à des gens qui sont beaucoup plus qualifiés que moi.

Pour moi, les choses sont simples : tant que l’accusé n’est pas derrière les barreaux, j’en déduis qu’il n’est pas coupable. Evidemment, je suis conscient qu’il y a plein de gens comme O.J. Simpson crapules qui réussissent à passer entre les mailles du filet du système judiciaire, mais j’ai pour habitude de présumer que toute personne est innocente jusqu’à ce qu’elle soit prouvée coupable. Parce que je me base sur ce principe, je refuse de lyncher systématiquement toute personne qui est accusée de crime sexuel. Pour moi, la présomption d’innocence est une valeur cardinale, et elle ne doit jamais être à géométrie variable.

Rest in peace Kobe Bryant! Rest in peace Michael Jackson! F*ck R. Kelly!

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