Mon album Ton préféré est sorti le 28 octobre dernier, mais aujourd’hui, je n’écris pas pour vous encourager à l’acheter. Plutôt que de vanter les mérites de l’album, j’ai décidé de vous parler d’un des principaux architectes de ce projet : So Fresh NP.

Étant donné que j’adore mettre la lumière sur ceux qui travaillent dans l’ombre, je vais  vous présenter ce jeune Kenyan très talentueux qui a composé près de 80% des beats qui sont sur l’album Ton Préféré (en réalité, il a produit 8 beat sur 11, mais comme j’ai la flemme de faire des calculs,  je vous donne un chiffre approximatif).

Fin de l’année 2013

La première fois que j’ai rencontré So Fresh NP, c’était vers la fin de l’année 2013. À la recherche d’un compositeur pour améliorer le beat de la chanson Descentes aux Enfers, j’avais demandé des recommandations auprès de Gish, mon ingénieur de son à l’époque. Ce dernier m’avait convaincu de travailler avec So Fresh NP.

La séquence d’événements que je m’apprête à raconter a duré une trentaine de minutes environ. En gros, So Fresh est arrivé au studio. Il a écouté le beat original pendant dans quelques secondes. Il a ensuite commencé à jouer des mélodies sur le clavier et très rapidement, il a jeté les bases de la version que vous écoutez.

Malheureusement, il n’avait pas beaucoup de temps à me consacrer, donc après une trentaine de minutes de travail, So Fresh m’annonça qu’il devait partir. Il rangea ses affaires rapidement, et prit la poudre d’escampette sans me laisser ses coordonnées, ni exiger de paiement.

J’aurais aimé qu’il reste plus longtemps, mais il avait d’autres engagements à honorer. Bien que sa présence fut de courte durée, le beat qu’il venait de créer était largement supérieur à la version précédente. En un temps record, il avait pondu un bijou. Certes, le beat était inachevé (il manquait  les drums), mais on pouvait déjà voir qu’il avait un énorme potentiel.

La fin de l’année 2013 coïncidait également avec mon départ de Nairobi. Alors que je m’apprêtais à quitter le Kenya et à m’envoler définitivement vers le Canada, je fis un dernier tour au studio histoire de dire au revoir à mon ingénieur avec qui j’avais travaillé pendant de nombreux mois sur l’album Le chant du cygne. Arrivé au studio, Gish me dit qu’il avait un cadeau pour moi. Il alluma son ordinateur et commença à me faire écouter jouer un beat.

• So Fresh NP te l’offre, me dit-il.
• Le beat est cool, mais en ce moment, je n’ai pas de tunes, lui dis-je.
• Ne t’inquiète pas, c’est gratuit.
• Gratuit? Où est le piège?
• So Fresh NP a écouté certaines de tes chansons. Il a aimé ton style et il a estimé que ce beat est taillé sur mesure pour toi.

So Fresh avait vu juste. Le beat était bel et bien dans mes cordes. Arrivé chez moi, je mis l’instrumental en boucle et je m’assis devant ma feuille blanche. Ce jour-là, j’étais tellement inspiré que j’ai écrit quatre couplets (Plus tard, je fus obligé de sacrifier un couplet, car la nouvelle génération est incapable d’écouter une chanson de plus de quatre minutes).

Vous vous demandez sûrement de quelle chanson il s’agit. Je ne vais pas vous faire languir bêtement. Il s’agit de Baby, une des chansons les plus populaires de mon répertoire.

Parfois, je négocie durement avec des compositeurs pour avoir un beat. Parfois, je fais des pieds et des mains pour collaborer avec un artiste dont j’admire le talent. Parfois, je me saigne aux quatre veines pour avoir un hit, et le résultat final est un fiasco. Et parfois, je ne fais rien du tout, et un hit me tombe dessus. Alors que je ne lui avais rien demandé, So Fresh m’a servi, sur un plateau en argent, un des plus gros hits de ma carrière. La vie est vraiment imprévisible. Vivons seulement!

2016

Quelques années plus tard, alors que je préparais mon mariage, j’avais décidé d’écrire une chanson pour ma future femme. Lors de mon passage à Nairobi, j’ai cherché à rencontrer So Fresh NP à tout prix. Dans un premier temps, je voulais le remercier de m’avoir donné le beat de Baby. Ensuite, je voulais lui demander de composer le beat de la chanson que je comptais écrire pour ma femme.

Les paroles du refrain étaient déjà prêtes. J’avais une direction précise dans laquelle je voulais aller. J’avais besoin de quelqu’un pour m’aider à matérialiser ma vision, et j’étais convaincu que So Fresh serait l’homme de la situation. Dès que j’atterris à Nairobi, j’obtins son numéro de téléphone auprès de Gish. Quelques jours plus tard, nous nous retrouvâmes au studio. En moins de deux heures, So Fresh fut en mesure de créer un beat majestueux. La chanson, vous la connaissez. Il s’agit de Always and forever. Ma femme adore la chanson et je dois une fière chandelle à So Fresh NP.

Depuis 2016, So Fresh et moi travaillons ensemble régulièrement. Une relation qui avait commencé par un cadeau est devenu une véritable amitié. Dans mon nouvel album En attendant, qui est sorti au début du mois d’août, il a composé la moitié des beats.

Pourquoi est-ce que je vous ai raconté cette histoire? C’est parce que j’avais une  envie pressante de prêcher et de vous rappeler que : qui donne reçoit.  Nous vivons tous dans une société basée sur un système d’échanges à travers lequel on se soutient mutuellement. Si tu refuses de donner, tu ne recevras rien en retour. Par contre, si tu veux recevoir, il faut apprendre à donner de manière désintéressée (c’est important de noter que lorsqu’on donne de manière intéressée, ce n’est plus un don, mais un prêt).

Il y a quelques mois, je parlais à mon pote Koudjo qui m’expliquait que dans le milieu de la musique, il ne faut jamais oublier de faire grailler tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement. Il faut déléguer certaines tâches, employer un maximum de personnes et nourrir le plus de bouches possible. Il faut aussi graisser les pattes aux blogueurs et offrir des cadeaux aux DJs. Quiconque essaie de garder tous les profits pour lui rencontrera des gatekeepers sur sa route. Ces derniers lui mettront des bâtons dans les roues et freineront son ascension.

Le principe de réciprocité est une règle cardinale qu’il faut respecter en tout temps. Je connais plein de gens qui veulent recevoir plein de choses, or ils donnent très peu. Ils sont évidemment très frustrés, car ils estiment que la vie est injuste. Ils fournissent plein d’efforts, mais reçoivent très peu en retour. Ce qu’ils omettent souvent de faire, c’est de se regarder dans le miroir afin de faire une autocritique constructive. En général, ces personnes sont très avares et reçoivent peu de choses, car elles donnent très peu.

Hopiho

P.S : Au début du texte, je vous ai dit que le but de cet article n’était pas de faire la promotion de mon album Ton préféré. Je l’ai dit et je compte tenir ma promesse. Par contre, je tiens à vous informer que mon nouvel album En attendant vient de sortir et je vous encourage fortement à aller l’écouter. Il en vaut le détour. Merci!