PARLONS UN PEU DE CES ARTISTES «APOLITIQUES»  

Nous sommes en 2017. C’est la liesse totale : Emmanuel Macron vient de remporter les élections. Après la victoire, il faut faire la fête. La chargée de relations de presse d’Emmanuel Macron, Sibeth Ndiaye, s’active en coulisses pour que la célébration soit à hauteur. Elle est en train d’essayer de convaincre un rappeur super populaire de venir se produire en spectacle pendant quelques minutes.

Sa première proposition de 50 000 euros est refusée. N’étant du genre à se laisser décourager facilement, elle revient à la charge avec une autre offre de 75 000 euros. Celle-ci est également rejetée. Sibeth est abasourdie : elle était consciente que les rappeurs étaient durs en affaires, mais pas à ce point. Elle tente alors son va-tout et propose 100 000 euros. Bien qu’il soit tenté par cette proposition, le rappeur reste campé sur ses positions : il est apolitique et ne veut pas être associé à Emmanuel Macron. Il connait le jeu : participer à un tel événement signifie cautionner le candidat.

Les propositions de Sibeth Ndiaye sont très alléchantes, mais il ne flanche pas. Tout au long de la négociation, sa position ne bouge pas d’un iota. Les politiciens, il les évite comme la peste, et le pont d’or offert par Sibeth Ndiaye ne changera pas la donne. Le rappeur et son équipe vont au bout de leurs convictions, et c’est extrêmement louable. (NDLR : Ceci n’est pas de la fiction. Le téléphone arabe et ma mémoire n’étant pas très fiables, il est fort possible que certains détails, comme les montants, soient inexacts, mais le reste de l’histoire est vrai. Malheureusement, je ne peux pas dévoiler le nom du rappeur car si je le fais, je mettrais ma source dans l’embarras.)

En février 2020, lorsque Fally Ipupa organise son concert à Bercy, environ une centaine (?) de personnes manifestent pour que le concert n’ait pas lieu. Elles reprochent à Fally d’être indifférent à la souffrance des Congolais et de se rapprocher des élites qui oppriment le peuple. Elles veulent donc que le concert soit annulé et déclenchent un incendie en brûlant des poubelles et des voitures, mais c’est peine perdue : le concert a bel et bien lieu.

Après ces incidents, Fally Ipupa tente de défendre son bilan en soulignant toutes les œuvres caritatives qu’il fait au Congo. Il s’empresse aussi de crier sur tous les toits qu’il est un artiste « apolitique ».  Grande était donc ma surprise lorsque je l’ai vu faire la fête avec Emmanuel Macron le week-end dernier. Fally, qu’est-ce qui n’a pas marché?

Tout d’abord, je tiens à préciser que Fally Ipupa n’est pas obligé de prendre position dans sa musique. Par contre, je dois avouer que c’était extrêmement malaisant de le voir boire des bières avec Emmanuel Macron. D’autant plus que quelques heures auparavant, ce même Macron a tenu des propos extrêmement condescendants à l’égard du peuple congolais. « Depuis 1994, vous n’avez jamais été capables de restaurer la souveraineté ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative de votre pays. C’est une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur », a-t-il dit. Nicolas Sarkozy peut être fier de son poulain : 16 ans après le discours de Dakar, on a droit au discours de Kinshasa.

Que Fally fasse la fête avec Emmanuel Macron n’aurait pas dû me surprendre, car j’observe certains artistes africains depuis quelques années, et à chaque fois, ils m’impressionnent par leur lâcheté et leur hypocrisie. Voici le compte-rendu de mes observations :

  • Il y a ceux qui font de la musique engagée, mais dont les actions laissent perplexe. Ils critiquent le gouvernement dans leurs chansons, mais ils sont toujours en train de chanter et de danser aux mariages et aux anniversaires des dictateurs. Dès qu’on leur donne un billet, ils oublient toutes leurs convictions. Je les appelle les girouettes.
  • Il y a des musiciens qui disent qu’ils sont apolitiques, mais parallèlement ils font du lobbying pour que l’état impose des quotas de contenu local aux radios et télévisions nationales. Quand il s’agit de défendre leurs intérêts, ils remuent ciel et terre, mais lorsqu’il s’agit d’être la voix des sans-voix, ils se défilent et disent qu’ils sont « apolitiques ». Je les appelle les égocentriques.
  • Il y a des artistes qui font semblant d’être engagés, mais au final, ils ne dupent personne. Au lieu de dénoncer les fraudes électorales, ils écrivent des textes bien fades où ils disent qu’ils veulent la paix. En faisant cela, ils font passer ceux qui demandent la justice pour des fous furieux qui veulent mettre le pays à feu et à sang. Je les appelle les manipulateurs.

En règle générale, lorsque les artistes disent qu’ils sont apolitiques, ça signifie tout simplement qu’ils refusent de prendre position parce qu’ils ont des intérêts à protéger. J’aurais beaucoup plus de respect pour ces artistes s’ils avaient le courage de le dire ouvertement. Malheureusement, ils utilisent le terme « apolitique » pour cacher leur lâcheté.   

Si vous voulez écouter une chanson d’un artiste qui n’est pas apolitique, je vous conseille vivement Musique noire remix.

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